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Affiche de Paprika.

Parce que sur Lost-Edens, on aime casser les idoles quand elles font de bons films, en voici un beau.

Satoshi Kon, tout le monde ou presque connaît : il est l’auteur de Perfect Blue, de Millenium Actress, ainsi que Tokyo Godfathers et bien sûr, Paranoïa Agent.
Son dernier film, sorti en 2006, se nomme Paprika.
Paprika est à la base le dernier roman de l’écrivain japonais Yasuraka Tsutsui avant qu’il ne se mette en grève créatrice en 1993. Considéré comme l’un des plus grands écrivains de SF du Japon, cet auteur est constamment sous le feu de la critique pour ses livres et articles engagés qui dérangent et lui posent donc beaucoup de problèmes.

Tsutsui aurait lui-même demandé à Satoshi Kon de réaliser ladite adaptation après avoir vu Millenium Actress. Satoshi Kon, lui, avait déjà l’intention de le réaliser. Comme quoi le monde est bien fait.
Ainsi, Kon adapta Paprika au cinéma, et c’est là que malheureusement, tout semble se barrer en couilles. Explications.

Paprika dans un des nombreux rêves du film.

Paprika est la première création de Satoshi Kon à réellement obtenir une audience importante et une assez large distribution, et ce, partout dans le monde. Le fait que Kon se déplaca un peu partout pour donner des interviews et vendre son film a bien sûr aidé mais le plus intriguant reste ce qu’il raconte.

Selon lui, Paprika est la conclusion du cycle commencé avec Perfect Blue, cycle que nous connaissons assez bien, reposant sur une confrontation entre le réel et l’imaginaire et qui fut très développé dans Paranoïa Agent, ce qui l’amena à changer de sujet pour son film suivant.
Et quand on lui en parle, Kon anticipe et affirme que désormais, il ne fera plus que des films grand public. Choc chez les fans et ceux connaissant un tant soit peu la filmographie du monsieur puisque cette filmographie se veut justement plutôt fermée, si l’on excepte Tokyo Godfathers et dans une moindre mesure, Millenium Actress.
Il avouera à demi-mot que ce choix est motivé par une envie de reconnaissance internationale: autrement dit, Kon semble vouloir la célébrité...

Soit donc, alors, ce film ?

Atsuko Chiba est l'alter ego de Paprika.
Synopsis : « Dans le futur, un nouveau traitement psychothérapeutique nommé PT a été inventé. Grâce à une machine, le DC Mini, il est possible de rentrer dans les rêves des patients, et de les enregistrer afin de sonder les tréfonds de la pensée et de l’inconscient.
Alors que le processus est toujours dans sa phase de test, l’un des prototypes du DC Mini est volé, créant un vent de panique au sein des scientifiques ayant développé cette petite révolution. Dans de mauvaises mains, une telle invention pourrait effectivement avoir des résultats dévastateurs.
Le Dr Atsuko Chiba, collègue de l’inventeur du DC Mini, le Dr Tokita, décide, sous l’apparence de sa délurée alter-ego Paprika, de s’aventurer dans le monde des rêves pour découvrir qui s’est emparé du DC Mini et pour quelle raison.»

Ainsi, le film nous propose de nous balader entre rêve et réalité, la limite entre les deux étant parfois difficilement discernable, comme souvent dans les productions de ce genre et en particulier dans celles de cet auteur, d’autant plus lorsque l’on sait que c’est cette caractéristique qui l’a fait connaître. Pour réussir l’exploit de rendre ce qu’il y a à l’écran accessible à tous, Kon dit vouloir baser le monde des rêves sur l’image d’une immense fanfare bourrée de symboles religieux ou sociaux qui permettent à un public international de s’y repérer tout de suite.
La réalisation sert le film de manière réellement admirable : elle est sans faille et le nombre de choses représentées à l’écran – justement dans cette fameuse fanfare – est incroyable et vraiment bluffant. Le travail sur les couleurs est également très bien pensé, tout comme celui sur les thématiques propres au rêve. Les personnages sont magnifiquement dessinés et l’animation n’est pas en reste grâce à la mise en scène, dynamique et optimale. Visuellement, c’est donc une énorme claque qui nous arrive sur la joue sans prévenir. Tout est très immersif, la musique et les sons très bien reproduits aidant également.

Malheureusement, une fois le film vu, on ne peut s’empêcher de réaliser que, vu la thématique du film (le rêve et donc l’inconscient, la manière que chacun a de se représenter et de représenter les autres), Satoshi Kon aurait pu aller un peu plus loin dans le développement.

La parade, encore et toujours la parade...
Ainsi Paprika, l’héroïne pétillante et sulfureuse du film, est l’alter-ego de la scientifique Atsuko Chiba, femme froide (pour ne pas dire frigide). Toute la retenue dont fait preuve la personne réelle est inversement proportionnelle à l’impudence de Paprika, dont Kon se sert pour faire voyager le spectateur à travers les rêves, la recherche du DC Mini passant quelques fois au second plan.
Ainsi, on a droit à Paprika qui vole, Paprika en sirène, Paprika en SonGoku, Paprika en Papillon, Paprika en poupée japonaise… Paprika est partout et dans toutes les formes possibles, surtout des formes volatiles car sa vraie personnalité est tellement terre-à-terre qu’elle en est ennuyeuse. Elle est un personnage omniprésent qui se veut complexe mais ne cache en fait qu’un gros vide créatif en matière de protagonistes aux personnalités intéressantes : cette forme de dualité est bien connue et très peu originale.

Pareil pour l’inventeur du DC mini, jeune scientifique de génie qui se fait constamment réprimander pour son infantilisme et qui se trimballe une obésité sans pareille. Il se représente en rêve sous la forme d’un robot typique des anime avec seulement son visage à découvert, comme pour cacher le corps dont il a certainement honte et peut-être parce que la carrure de robot lui procure la puissance dont il rêve.

On citera également leur chef de projet, un vieux scientifique au tempérament dynamique et bon enfant dans la réalité qui se voit dépeint en roi de la fanfare fantasmant sur Paprika et sur les jeunes filles en général, tel un vieillard un peu pervers…

Tout ceci est très joli et bien pensé mais on est tenté de se dire : « et après ? ». Kon nous avait habitués à bien mieux en ce qui concerne le développement des personnages (Perfect Blue en est un excellent exemple).

Paprika déguisée, encore une fois.
Mais tout ceci n’est rien par rapport à la réutilisation dans ce film de certains éléments de ses précédentes créations : on retrouve certains lieux, certaines situations et même certains personnages issus de ses productions passées !
Auto-citation de génie ou recyclage abusif d’éléments qui, au final, ne seront pas connus du grand public ? Entre les deux hypothèses, on penche pour la seconde tant la première démontrerait alors un manque de tact sans égal.

De ce fait, le personnage de l’inspecteur de police est directement repris de celui de Paranoïa Agent, tout comme les scènes où il retombe dans l’enfance dans une ville des années soixante. On notera également des idées et des plans de caméra repris de Perfect Blue et de Millenium Actress.
Le tout dégage une impression de grosse flemme et de foutage de gueule.

On ne va pas reprocher à Satoshi Kon de vouloir masquer la pauvreté toute relative de ses personnages et de son scénario avec une réalisation à couper le souffle et des clins d’oeil à gogo mais se réapproprier ses propres travaux sous prétexte que le grand public ne les a sans doute pas vus, c’est juste honteux.

Encore et toujours la parade...

Pour conclure, on dira que Paprika est avant tout un film destiné à en foutre plein les yeux et à déglinguer un peu le cerveau en faisant style “vous pouvez pas comprendre”, façon film d’auteur alors qu’on parle ici d’un film gros budget qui sent surtout le réchauffé.
Que ce soit les personnages stéréotypés auxquels on attribue une personnalité qui pousse à une pseudo-réfléxion (le gros génie, la beauté froide, le grand méchant du film…), les scènes telles que la fanfare qui nous en mettent plein la vue tout au long du visionnage, ou encore les différents clins d’oeil à diverses légendes et autres histoires du Japon (Paprika en Songoku pour que les fans occidentaux de Dragon Ball qui ne connaissent que ça se sentent moins incultes ?), tout sent le film qui va flatter le spectateur, jusqu’à le faire vomir.

Un bon gros film d’animation qui possède tous les éléments pour devenir un grand film aux yeux d’un public très facile: réalisation qui atteint des sommets, ambiance bien trouvée, doublage génial. Le genre de films pour lequel Télérama va faire une critique bien élogieuse et lèche-burnes du genre « Un film d’animation qui, une fois de plus, prouve la mainmise du Japon sur l’animation : moderne, riche, intelligente » et tout le tralala. Le genre de film qu’il faut avoir vu sous peine de ne vraiment pas être in, le genre de film qui fait hype et qui, grâce à une petite édulcoration (ou répétition ?) de sa thématique et à l’ajout (massif) de plein d’éléments visuels qui déchirent, devient le nouveau fer de lance de l’animation japonaise en général.

De ce film, on retiendra surtout les interviews de Satoshi Kon dans lesquels celui-ci dit qu’il est bête de tout le temps refaire les mêmes choses (hem hem…), que « c’est trop super l’animation » et par-dessus tout, qu’il va à présent se concentrer sur les films d’animation (grand public) pour les enfants.
Paprika n’est pas un mauvais film; il est même plutôt bon objectivement parlant, mais on ne peut s’empêcher de penser que quelque chose cloche.

Et ce qui cloche, c’est Satoshi Kon, l’auteur qui aura au final bâclé un film pour se bâtir une notoriété.
Et peut-être un jour, égaler Miyazaki ?

Chat bite !

Ecrit par Neithan le 07 octobre 2008 | Modifié le 08 octobre 2008

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