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Jardin des Berceaux - [Le blog de Lordy ! Le VRAI.] existe depuis le 18/09/2007

Jardin des Berceaux
Liasse de billets à voir, à raison d'un billet par décennie.

Exode rural

Tricorne


Pour marquer d’une pierre blanche un événement pour le moins historique, quelques amis à moi, friands de comics, ont eu la bonne idée de m’offrir quelques bandes dessinées intéressantes.

Le sujet étant peu abordé sur Lost-Edens, et l’un des ouvrages m’ayant particulièrement intéressé, je me suis dit que c’était là l’occasion de changer un peu de paysage dessiné, l’occasion de s’envoler vers de nouveaux horizons d’encre, et surtout l’occasion de poster mon troisième billet de blog (autre événement, festif celui-ci, s’il en est).

Je vais donc causer de l’un des piliers de la bande dessinée ”à l’américaine”, si ce n’est LE pilier, à savoir Will Eisner, dont je n’avais jamais entendu parler jusqu’à samedi soir. Pourtant, cette sommité de son domaine, malheureusement décédée il y a peu (2005), semble être connue. Tant et si bien en fait qu’on a donné son nom au plus prestigieux prix qui vient annuellement récompenser les auteurs américains qui crayonnent le mieux sur les pages blanches. Par ailleurs, c’est elle (la sommité : )) qui a fait émerger le genre du « roman graphique », donnant ainsi ses lettres de noblesse à la bande dessinée américaine. Un bien joli CV, en somme.

Quoi qu’il en soit, je vais vous parler de cet album qu’on m’a généreusement offert. Je vous montre la (très) jolie couverture, qui n’a pas manifestement été photographiée par mes soins, vu la qualité de l’image que je vous propose :

Faites bon usage de la roulette car j’ai pas redimensionné l’image. : )
C'est pas centré, mais c'est beau quand même hein ?

Comme l’identité olfactive des livres c’est important, laissez-moi vous dire que les fragrances de papier et d’encre de ce bouquin sont tout à fait entêtantes. :)

A l’intérieur du bestiaux, tout un microcosme fait de noir, de blanc, et de gris.
L’auteur entend nous présenter la réalité des villes. Cette réalité, selon lui, n’est pas celle d’un engorgement de vies, marasme de chairs s’ébrouant dans des décors d’acier et de béton. Sa réalité à lui, c’est celle des habitants de ces villes, de leurs histoires, prises sur le vif. A l’instar d’un Michelet, ce sont les rêves et les inquiétudes des individus qui sont le reflet de l’Histoire. « Chaque homme est une humanité, une histoire universelle. »
Ce credo pourrait être celui qui a guidé la main d’Eisner lorsque son crayon, grattant avec ardeur les rêveries et les craintes des hères, couchait sur le papier cette série de scènes fugitives, de « photographies », comme il les nomme lui-même.

L’originalité de ce volume consacré à la ville de New-York est qu’il n’est pas question d’une histoire, et que si personnage il y a, ce personnage est une ville, dont les facettes sont présentées par une kyrielle de petites histoires. Si elles sont judicieusement regroupées par thèmes « urbains » (les murs, les égouts, les détritus, le métro, etc.), ce sont des histoires courtes, parfois se composant d’un seul dessin, de petits drames et de grands tracas du quotidien, que l’auteur met en place, et non une seule intrigue linéaire.

Bien qu’on sente très fortement l’identité de la ville américaine à travers cet ouvrage, le clivage n’est pas si grand qu’il empêche les lecteurs étrangers que nous sommes (pour la plupart ^^) d’apprécier pleinement ces récits, scènes de vies piégées dans l’ambre et l’encre de l’instant.

Bref, il s’agit là d’un recueil de scènes de genre urbaines, soutenu par un dessin proche de la caricature, avec une forte présence du décor, qui fourmille de détail. Les personnages, bien qu’au cœur des histoires, sont un peu en retrait graphiquement, mais étant donné les circonstances, je trouve plutôt bien vu, esthétiquement parlant, qu’ils soient ainsi noyés sous le flot de détails de la ville.

L’auteur a une grande finesse d’observation et a su multiplier les scènes de vie quotidienne : un métro bondé où chacun pense à ses propres soucis, une bouche d’égout dont les entrailles sont devenues un écrin des histoires passées par le biais des objets négligemment laissés tomber par monsieur tout le monde, une femme qui ne peut se résoudre à poster une lettre dont on ignorera le contenu, quelques graffitis tagués sur un mur, une immigrante qui va puiser son eau à la bouche d’incendie, un vieux monsieur qui passe ses journées à regarder la vie de ses voisins par la fenêtre et ses nuits à regarder la télé... toute une série de portraits et de scènes de genre, des petites choses quotidiennes qu’on ne pense pas nécessairement à immortaliser sur le papier, et que nous livre ici Eisner, qui jette sur les entrailles palpitantes de vie des rues un regard à la fois affectueux et désabusé. Désabusé car à mon sens, le petit bémol de cette bande dessinée d’une belle originalité est le pessimisme incroyable dont fait preuve l’auteur. Si certaines scènes sont un présage d’espoir, si d’autres sont humoristiques, la plupart laissent entrapercevoir une population au mieux pathétique, au pire totalement désespérée. Je ne remets pas en cause la justesse de ces morceaux de vie, mais je pense qu’il y avait bien plus d’espoir à montrer que cette facette finalement bien sombre d’une ville que l’auteur dit aimer. Mais bon, ce n’est que le premier volume, j’espère donc que la ville saura trouver grâce aux yeux de l’auteur dans la suite de son aventure urbaine. Le second tome zoome et aborde le cas d’un bâtiment, vu par quatre fantômes qui ont autrefois habité les lieux. Chose appréciable donc, la forme semble être amenée à varier au fil des tomes, tout en gardant le thème urbain comme liant.

La bande dessinée s’achève sur une sorte d’épitaphe de l’auteur américain de science-fiction Neil Gaiman (American Gods non ?) et d’une sorte de postface signée d’un certain Denis Kitchen, obscur acteur de la bande dessinée américaine avec lequel Will Eisner eut l’occasion de collaborer j’imagine.

Je pense avoir fait le tour de cette petite critique minute (qui m’a pris plus de temps que prévu, mais elle a fière allure maintenant). Je ne sais pas si le thème de la réalité urbaine et si l’esthétique de la scène de genre va sensibiliser beaucoup de monde sur Lost-Edens, mais quoi qu’il en soit, c’est un ouvrage fort intéressant que voilà, traitant avec humour et sensibilité du monde finalement méconnu de la ville, et ce par le biais d’un récit fragmenté comme autant de vies saisies dans l’instant de moments forts ou quelconques. Un travail plutôt original en somme, qui mérite qu’on s’y attarde, ne serait-ce que par curiosité.

Posté dans : Bande dessinée le 03/12/2008 à 23:09:52 [édité le 03/12/2008]

Le 04/12/2008 à 11:17:44

Skarn
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Je ne connaissais cet auteur que de nom. A la lecture de ton article, ça me paraît plus proche de certains courants de la BD franco-belge que de l’univers assez codifié des comics. Cette BD date de quelle année?

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Le 04/12/2008 à 15:08:11

LordYamaneko
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L’auteur a aussi fait des choses plus conventionnelles dans la première partie de sa carrière (des histoires de super-héros). C’est la seconde moitié qui semble plus intéressante et qui lui a valu la célébrité.

Premier tome (celui que j’ai) paru en 1981. Ca te fait penser à quoi ? J’ignorais que “nous” faisions ce genre de chose, en Europe. ^^

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Le 04/12/2008 à 21:09:54

Skarn
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J’ai lu quelques BD qui pourraient s’approcher de ce style (genre un truc très bien qui reprenait des scènes de la vie d’un immeuble, mais impossible de me rappeler du titre). Globalement c’est plutot sorti chez des petits éditeurs, essaie de voir au coin BD de la bibliothèque de ta fac (c’est là que je les avais lues).

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Le 04/12/2008 à 23:32:27

Aniki
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“L’auteur a aussi fait des choses plus conventionnelles dans la première partie de sa carrière (des histoires de super-héros).”

Il a créé The Spirit, dont l’adaptation ciné par Frank Miller s’annonce très alléchante ;)

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Le 05/12/2008 à 07:02:19

LordYamaneko
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Oui, je sais, c’est bien à ça que je faisais référence (puisque c’est à ma connaissance le seul super-héros qu’il a créé ?). Je ne sais pas ce que vaudra l’adaptation, mais l’oeuvre de base semblait plutôt classique par rapport à ce qu’il a fait ensuite. Cela dit j’y connais rien et j’ai pas lu, mais disons que déjà, le fait que ce soit une histoire de super-héros, c’est déjà la marque d’un certain classicisme par rapport à ce que l’auteur fit ensuite.

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Le 05/12/2008 à 18:53:00

Cyberia-Mix_{Track-09}<--
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“Faites bon usage de la roulette car j’ai pas redimensionné l’image. : )”

> :D Tes articles sont définitevement ceux qui me font le plus rire. :]

De surcroît tu as réussi à titiller ma curiosité. :p
J’essaierai de le trouver et d’y jeter un oeil. :)

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Le 06/12/2008 à 17:21:26

Neithan
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Super petit billet Lordy, je verrai si je peux me procurer/lire ça pendant mon stage en librairie BD ! :D

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