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  • Odin Sphere
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  • Odin Sphere

Odin Sphere

Petite mise en garde préliminaire : étant un article avant d’être un test formel, ce texte contient par conséquent quelques légers spoilers. Rien de très méchant mais les plus désireux de préserver la première expérience intacte gagneraient sans doute à éviter ce texte.

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Une adorable fillette blonde entre dans cette pièce poussiéreuse aux allures de grenier. Jonchée d’objets semblant venir d’un autre temps, des lampes à pétrole désuètes y côtoient un phonographe en bois suranné. Quelques coffres sont posés ça et là sur des étagères remplies de volumes, vieux ouvrages semblables à de mystérieux grimoires. Le chat d’ébène, Socrates, fait les cent pas autour d’un fauteuil si capitonné qu’il ne peut que convier le visiteur à s’y enfoncer langoureusement, ce que ne manque pas de faire Alice, notre charmant passeport vers la grande fable épique et dramatique de Vanillaware, qui se saisit au passage du livre le plus proche. Alors que la belle enfant tourne des pages qui recèlent d’histoires et de contes merveilleux, nous quittons à regret la tranquillité apaisante de cette pièce, de son félin et de sa demoiselle délicieuse tandis que nous sommes happés par l’œuvre. Un premier symbole très fort, la volonté de pénétrer le joueur, de lui faire oublier qu’il y a une autre réalité derrière contes et légendes. Il ne s’agit plus de lire et d’imaginer, mais de vivre et d’expérimenter, au-delà même du ressenti pur. Odin Sphere s’introduit à nous comme un gouffre dans lequel nous devons sauter à pieds joints. C’est un pacte que les conteurs de Vanillaware passent avec leur spectateur, et qui n’offre pas de marche arrière possible.

Erion, une terre ronde comme une orange.

Une fois plongé en Erion, le voyageur éphémère est perdu car Odin Sphere, plus que tout, est un carrefour. Un brassage à la fois si dense et si harmonieux que cela en toucherait presque à l’indécence. Primitivement, un simple carrefour ludique, où deux genres que tout semble opposer, le beat them all et le RPG, affluent dans une même direction pour former un ludisme revêche et incroyablement ardu qui ne se laisse pas apprivoiser par le premier lecteur venu. S’acheminant difficilement à travers des temps de chargement fastidieux, des ralentissements souvent frustrants, une difficulté parfois homérique et une répétitivité certaine, Odin Sphere ne fera pas des adeptes auprès du plus grand nombre, tant il s’adresse à une niche, alcôve de joueurs avides d’émerveillements et dont les yeux esthètes voient dans Odin Sphere le retour du messie. Mais cette effusion ne se fera qu’au prix d’une quête difficile et parfois même laborieuse. Une gestion et un système de création passionnants au service d’un bourrinage répétitif que seuls les adeptes de beat them all ou de grandes ambiances pourront pardonner. A travers des niveaux sphériques qui donnent, à l’instar de la vue de profil de Valkyrie Profile, une valeur à la fois thématique et rhématique au titre du jeu, Odin Sphere est une odyssée dont la progression est rude et exigeante.

Lutte acharnée dans les terres gelées.

Odin Sphere est aussi le carrefour des destinées. Une trame simple, nihiliste et destructrice, éprouvante, sans cesse ressassée, « comme le flot des vagues », nous disait Seiken Densetsu 2. Un récit de mort, de désolation, une apocalypse implacable, insoutenable, qui se développe comme un écho sans fin à travers les cinq personnages qui formeront un canevas funèbre et féérique, enchevêtrement ensorcelant où la pluralité des points de vue offre une construction narrative brillante, nonobstant l’apparente simplicité de l’intrigue et annihilant tout manichéisme, chaque protagoniste éclairant à sa manière le périple de l’autre, laissant au joueur le soin de reconstituer l’étoffe écarlate à partir des lambeaux disséminés par le parcours de chacun.

Odin Sphere est encore le confluent des inspirations et des influences. L’histoire écrite sous forme de « Drama » ramène le joueur au statut de spectateur d’une pièce tragique, d’un opéra ludique figé. Spectateur, le joueur n’est en effet rien de plus. Quels que soient les actes accomplis, le joueur ne pourra que contempler, spectateur impuissant face aux tableaux merveilleux qui constituent les planches théâtrales, le monde féerique dans lequel il évolue, sombrer dans la ruine. Un sentiment théâtral renforcé par le côté figé de cette 2D de profil, le point de vue étant précisément celui induit par les planches sur lesquelles évoluent les acteurs. Le Globe trouverait dans ces sphères-ci une débauche d’artifices propre à lui faire une concurrence acharnée. Que ne verrait-on point derrière l’éveil de Gwendolyn chez Oswald, dans sa robe éclatante de jeune mariée, sur ce balcon de château gothique bercé par une nuit magique, l’éveil d’une Belle au bois dormant et d’une Juliette attendant le retour de ce Roméo qu’elle commencera par rejeter ? Une scène du balcon qui sera confirmée plus tard, à travers une relation beaucoup plus tendre que passionnelle, mais qui n’en évoquera pas moins la célèbre scène. A la fois récit merveilleux et ruine biblique, le conte populaire est lui invoqué à chaque couleur, à chaque courbe, à chaque lieu, à chaque personnage. Les compositions sont à la beauté féerique ce que ce texte est à l’exagération : une floraison honteuse de couleurs chaudes et de beaux atours pour dépeindre un monde médiéval onirique qui vampirise le visiteur. Un kaléidoscope éclatant où un dragon issu de l’imaginaire allemand des Nibelungen se confronte à un prince pur de cœur, réduit à l’état de bête, se cachant de celle qu’il aime. Où la main d’une fille d’Odin est donnée à un sombre chevalier maudit et où une jeune reine embrasse un prince transformé en batracien afin de lui faire retrouver sa forme humaine. C’est là encore que l’on trouve une bête à trois gueules qui signe l’apocalypse annoncée par quelque prophétie aux échos religieux. Dernière influence et non des moindres, les origines européennes et tout particulièrement françaises de cette ambiance de contes à la Perrault transpire à travers un emploi cataclysmique de la langue pour le main theme et pour les menus du restaurant et du café, lieux incontournables. Hommage maladroit mais touchant à un pays qui aura tant œuvré pour le conte populaire.

Au menu : Amélioration des points de vie et français approximatif.

Parfum prophétique d’une fatalité à laquelle on ne peut se soustraire, exhalaisons d’une odyssée épique pour prévenir l’inéluctable, relents cosmogoniques quasi-religieux de la fin d’un monde qui en appelle à la naissance d’un nouveau, effluve de tragédie dispersant dans le vent des héros héritiers d’une tradition antique tentant de lutter contre un courant qui ne peut que les emporter, ces entrelacs auraient pu faire de cet Odin Sphere un imbroglio plus qu’indigeste, mais c’était compter sans le talent qui donne saveur, cohérence, et beauté, à cette histoire fantastique qui oscille sans jamais ciller entre fantastique purement merveilleux et fantastique romantique, avec tout ce que cela comprend de mélancolie, de noirceur et de beauté.

Mystification et enivrement complexe que les artisans de Vanillaware ont forgé à grand coups de gouache, Odin Sphere a autant de ramifications que peut en avoir son intrigue multiple. L’on s’étonne des liens de causalité qui se tissent progressivement et forment une toile du destin qui unit chaque personnage. L’on s’émerveille de ce conte, beau, vibrant, vivant, qui s’étale à nos yeux d’esthètes en mal de féerique. Et enfin, l’on est plongé dans l’affliction, à l’instar de nos avatars numériques, qui semblent être emportés irrémédiablement par le déluge, noyés sous le sang et les larmes.

Si Odin Sphere se veut l’héritier de la couronne laissée par Princess Crown, poème saturnien dont une horde de fans méconnus scandent le titre dans l’ombre, il revendique également la succession de l’admirable Valkyrie Profile, dont il conserve une ambition autodestructrice et le sentiment d’une agonie poétique fascinante. S’il fait un RPG au gameplay poussif et à la technique qui peut chanceler et se dérober sous ses pas durant son éblouissante mais âpre prestation, Odin Sphere parvient à largement se reprendre grâce ses qualités esthétiques enchanteresses et son intrigue suave, voluptueuse et amère, qui emprisonnent le joueur dans un cocon magique tissé avec rigueur et le lient à cette œuvre avant qu’il n’ait l’occasion de faire marche arrière. Progresser sur les terres d’Erion est une tâche difficile, parfois laborieuse, mais qu’importe, car une fois les yeux posés sur les ruines grandioses de Valentine ou sur les ramures majestueuses des arbres de la forêt d’Elrit, une fois que le cœur aura partagé les doutes et les souffrances de Gwendolyn ou de Mercedes, il ne sera plus question de quitter cet univers qui nous irrite : il nous faut nous assurer que la fin de ce monde sublime et de ces acteurs ne soit la chute prophétisée. Mais l’univers contenu dans un livre peut-il se terminer simplement une fois la dernière page parcourue avec avidité et fébrilité ? Quittons-nous un monde fictif mais terriblement attachant simplement en mettant l’ouvrage dans un placard ? L’œuvre se résume-t-elle à une intervention éphémère du voyageur ? Peut-être Alice et le petit monde d’Erion pourront-t-ils répondre à cette question ?

Le repos du juste. Une fin, mais laquelle ?

Ecrit par LordYamaneko le 09 février 2009 | Modifié le 10 février 2009

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