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  • Titre original :
  • Paranoia Agent
  • Titre français :
  • Paranoia Agent

Après les désormais classiques Perfect Blue (1997), Millenium Actress (2001) et Tokyo Godfathers (2003), le génie Satoshi Kon nous présentait en 2004 sa quatrième réalisation personnelle : Paranoia Agent (Mousou Dairinin). Cette fois le projet était réellement ambitieux car il ne s’agissait plus ici d’un “simple” long-métrage d’animation mais d’une série télévisée en 13 épisodes pour une durée totale avoisinant les 330 minutes. Soit plus de 5 heures… de bonheur ? Et bien tant pis pour le suspense (pardon, maître Hitchcock) : la réponse est oui !

~ C’est l’histoire d’un gars qui… ~


Le téléphone portable, un enfer au quotidien.

Japon, de nos jours.
Tsukiko Sagi est une jeune character-designer tête-en-l’air à l’origine de “Maromi”, dernière mascotte kawaii du moment ayant donné lieu à de nombreux produits dérivés et en passe de devenir héroïne d’un dessin animé. Mais la hype chez nos amis nippons étant aussi éphémère que la durée de vie d’un Echy privé de Xenogears (je vous aide : très courte), Tsukiko se voit déjà chargée de créer un nouveau personnage. Jalousée par ses collègues et stressée par les délais que lui impose son (plus que maniéré) chef, notre dessinatrice rentre donc chez elle comme tous les soirs, sans avoir rien produit. Mais ce soir-là ne sera pas si semblable aux autres : tendue, Tsukiko se sent suivie et se met à courir nerveusement avant de trébucher à l’entrée d’un parking, laissant s’échapper le contenu de son sac sous une voiture. Elle tente de récupérer ses croquis en vitesse mais une ombre plane déjà derrière elle… Obscurité.


“Pleure pas…” (air connu)

“Un jeune garçon. Une batte de base-ball, des rollers. Dorés. Une casquette et un short.” Telle est l’insolite déposition de Tsukiko Sagi dans sa chambre d’hôpital, et c’est sur base de ces maigres informations et d’un croquis que doivent enquêter les inspecteurs Keiichi Ikari et Mitsuhiro Maniwa, chargés de cette affaire déjà largement médiatisée. “Agression de Tsukiko Sagi, designer très connue du jouet populaire Maromi”. De son côté, un journaliste (et accessoirement pervers) fauché du nom d’Akio Kawazu doute de la version de Tsukiko et de l’existence de ce garçon à la batte ; pour lui, cet accident n’est qu’une pure invention destinée à échapper à l’échéance imposée par la compagnie M&F. Il enquête donc sur la dessinatrice et la suit afin de recueillir un maximum d’indices. Le journaliste-sangsue ne se moquera toutefois pas longtemps d’elle car il sera lui aussi rapidement victime du garçon à la batte dorée.

Dès lors se propage la légende urbaine de Shounen Bat (le garçon à la batte) : les rumeurs courent et les médias s’en mêlent tandis que le halo de mystère entourant le jeune agresseur reste total. Ikari et Maniwa poursuivent leur enquête.


“Chef… pour dîner, des yakiniku ça vous va ?”

Gravitant autour de cette énigme, chaque épisode de Paranoia Agent est indépendant des autres et met en scène un héros ou groupe de héros différent (mises à part certaines exceptions). Le second épisode se focalise par exemple sur le très poseur Yûichi Taira dit “Ichi” (pour “premier”), écolier populaire adulé par tous ses camarades. Seulement, le voilà du jour au lendemain persécuté et exclu de sa classe (victime de ce qu’on appelle “ijime”) à cause de sa ressemblance physique avec un certain Shounen Bat. Ichi joue en effet régulièrement au base-ball et il arbore casquette, short et rollers dorés. Un autre épisode, contenant de nombreux clins d’oeil à Perfect Blue, met quant à lui en scène le professeur particulier de Yûichi tandis que le très drôle neuvième chapitre, l’un de mes préférés, est centré sur les rumeurs et petites histoires que se racontent une bande de commères à propos du garçon à la batte.

On change ainsi constamment de point de vue et d’ambiance (tantôt inquiétante et tantôt abracadabrante), ce qui est assez génial et dépaysant. Cependant, le tout reste cohérent ; les personnages se croisent fréquemment et les épisodes se recoupent, se complètent mutuellement tout en faisant directement ou indirectement progresser l’intrigue de fond. La recette fonctionne à merveille, le scénario tient en haleine et rebondit sans cesse, la variété des chapitres renouvelle constamment l’intérêt… C’est parfait.


Qui n’a jamais gaspillé ses sous-sous dans une de ces machines ?

~ “Appelle-moi… Papa !” ~

De nombreux personnages typiquement Koniens (donc savoureux et charismatiques) font leur apparition dans la série. Cependant, devant le nombre d’intervenants assez conséquent (et afin de préserver la surprise), j’ai choisi de ne présenter que les protagonistes apparaissant déjà dans le premier épisode. A noter qu’un personnage de Tokyo Godfathers (l’infirmière) apparaît en guest star dans la série.

Shounen Bat : Le garçon à la batte dorée est le personnage central de Paranoia Agent. Paradoxalement, il est aussi le point le plus mystérieux de la série, et son identité ainsi que ses motivations seront sans cesse remis en question…

Maromi : Cette version canine de Hello Kitty est la mascotte de la série et représente en quelque sorte un phénomène de mode. Pas un épisode ne passe sans qu’on ne l’aperçoive sous forme de peluche, de pantoufles (sic) ou encore sur le T-shirt de l’otaku bigleux du coin. A noter ses attitudes maladroites et sa voix craquante au possible, ainsi que le génial épisode 10 où Maromi nous explique les différentes étapes et métiers nécessaires à la création d’une série animée (lui étant consacrée) !

Tsukiko Sagi : Cette jeune designer apathique mais néanmoins populaire travaille pour la société M&F. Elle semble renfermée dans son monde et ne se sépare jamais de sa peluche Maromi… qu’elle voit bouger et parler. Tsukiko sera la première victime de Shounen Bat.

Akio Kawazu : Il s’agit d’un très fourbe journaliste à l’affût du premier scoop se présentant à lui. Kawazu est constamment fauché et se voit obligé de payer la chambre d’hôpital du boulet que représente son vieux père ayant complètement perdu la raison. Il sera la seconde victime de Shounen Bat.

Le vieux Kawazu : Ce vieillard passe ses journées à écrire des équations mathématiques incompréhensibles sur le sol et les murs, ou à tenir d’obscurs propos surréalistes. A noter qu’il est l’annonciateur des épisodes suivants après le générique de fin. Sage prophète ou vieillard désorbité ?

Keiichi Ikari : Ce vétéran bourru et quelque peu réac’ se voit chargé d’enquêter sur l’affaire Shounen Bat. Il cherche toujours à adopter un raisonnement rationnel face aux événements, mais se révèle souvent dépassé par ceux-ci. Ikari est vraiment charismatique, certainement l’un des personnages les plus intéressants de la série.

Mitsuhiro Maniwa : Il s’agit d’un jeune premier enquêtant sur Shounen Bat avec l’inspecteur Ikari. Intelligent mais moins terre-à-terre que son chef, Maniwa est un personnage attachant, devenant au fil des épisodes de plus en plus intéressant et mis en avant (han han).

~ Le Japon, c’est pas si beau qu’on le dit ~

Sur papier (ou plutôt sur écran), Paranoia Agent doit jusque là vous sembler être un sympathique divertissement. Très bien mené, certes, mais pas plus. Seulement ce serait là mal connaître l’ami Satoshi Kon. Car tout comme dans ses précédentes oeuvres Perfect Blue et Tokyo Godfathers, le réalisateur dresse ici un véritable portrait de la société dans laquelle il vit (Millenium Actress étant lui plutôt axé vers le passé), se permettant d’aborder plus de thèmes grâce à sa galerie de personnages bien fournie, et grâce au support plus modulable qu’est une série de 13 épisodes. Il n’hésite ainsi pas à se pencher avec cynisme et mordant sur de nombreux sujets tabous, dont toute personne pour qui le mot “Japon” n’évoque pas qu’une île abritant d’étranges individus sauvages aux yeux bridés (ou des dragons kleptomanes) a dû entendre parler.


Brrr, pas envie de savoir ce qu’il a derrière la tête XD

Les otakus, par exemple, ça vous dit quelque chose ? Vous savez, ces marginaux fanatiques de mangasses, de dessins animés ou de jeux vidéo renfermés sur eux-mêmes et mis au banc de la société. Et bien on en trouve un bel exemple dans Paranoia Agent, le parfait stéréotype : gros, binoclard, pervers et vivant dans une chambre remplie de posters, figurines et goodies en tous genres. Plus grave en soi et bien plus cynique, un épisode entier inspiré d’événements réels se focalise sur un groupe d’internautes très spécial (j’ai d’ailleurs appris dans cette série que les smileys “T_T” et ”;_;”, ou encore la star “XD” font également fureur chez les nippons). Ces trois “no life” (dont une écolière) adeptes des chat-rooms se sont donnés rendez-vous “In Real Life” afin d’en finir avec leur vie (il faut savoir que le Japon est le pays dont le taux de suicide est le plus élevé à travers le monde). Et là, Kon parvient à réellement déranger en traitant le sujet de manière acide mais humoristique, présentant ses personnages comme un heureux trio gambadant à travers les bois. Un “Happy Suicide Club” s’amusant à rechercher un moyen de mettre fin à leurs jours… Et ratant tentative sur tentative.


La question est : les cordes ont-elles été fournies par Nooj ?

Ensuite se pose la question du pourquoi d’une telle folie suicidaire dans ce pays, et la série nous apporte quelques éléments de réponse en nous présentant une société rongée par l’hypocrisie, où le stress des conditions de travail entraîne bien souvent le surmenage voire le pétage de câble intégral (l’exemple parfait étant l’employé du studio d’animation dans l’épisode 10), où l’individu se renferme sur soi et néglige les rapports sociaux, préférant souvent une communication télématique plus superficielle mais moins dangereuse. Dès lors, il devient plus aisé de comprendre l’important taux de criminalité, et la déchéance absurde d’Hirukawa dans l’épisode 4, qui pour réaliser son projet “My home” consistant à bâtir la maison de ses rêves, sombrera petit à petit dans la violence, le vol, la drogue, entretenant de mauvaises relations avec une obscure bande de yakuzas et passant ses pulsions sexuelles sur une prostituée. Bien entendu, ceci est à nouveau traité avec humour (noir) et dérision. Et bien entendu (bis), le réalisateur fait mouche à chaque coup et arrive à susciter d’étranges sentiments entre le rire, la pitié et l’inquiétude.


Combattre le mal par le mal !

Le résultat est une caricature (réaliste) de la société japonaise contemporaine, particulièrement délicate et pervertie (après, quant à savoir si elle l’est vraiment plus que les autres…). Au-delà, et à travers ces thèmes s’inscrivant directement dans la culture nippone, sont abordées tout au long de la série d’autres problématiques plus universelles comme les déviances psychologiques ou les phénomènes de société... Mais je préfère ne pas trop vous en révéler à ce sujet.

~ L’esthétique, c’est important. Et le son aussi, tu vois ? ~

Maintenant que vous en savez plus sur le fond, vous devez sans doute vous demander ce qu’il en est de la forme. Et bien là encore on frôle le sans-faute avec tout d’abord une mise en scène diablement efficace, portant pour notre plus grand plaisir la marque du talentueux Satoshi Kon. En effet, on retrouve ici cette fameuse ambiguïté constante entre le réel et le fictif, qui fait que l’on ne sait jamais vraiment si ce que l’on nous montre doit être pris au premier degré ou pas. Par exemple, dans l’un des épisodes, les personnages se retrouvent petit à petit happés à l’intérieur de l’univers surréaliste d’un très Draque-like RPG ; la transition se fait si naturellement (un costume qui change par-ci, un décor qui s’ajoute par-là, ou même une exagération progressive des expressions faciales) et les personnages ont l’air de trouver cela si normal que l’on en vient finalement à se demander quand a commencé le délire, et s’il est vraiment réel ou simplement symbolique. D’autres originalités de mise en scène bordent en vrac la série, comme la mise en parallèle entre les événements réels et les planches d’un manga bien viril portant le doux nom d’“Agir en homme” (épisode 4), alors que le personnage concerné se prend pour un héros flamboyant tout droit sorti de l’univers d’un Ryôichi Ikegami (Crying Freeman, Sanctuary, et autres oeuvres testostéroniennes). Effet garanti. Inutile à part cela (ne prêtez pas attention à ma formulation de crâneur et lisez quand même ce qui suit) de préciser que la mise en scène générale, même lorsqu’elle se fait plus classique, reste efficace, maîtrisée, alliant dynamisme et plans cinématographiques. Bref, impossible de s’ennuyer.


La récompense d’une quête durement menée ?

L’animation est quant à elle excellente, et atteint quasiment le niveau d’un long-métrage (la série a d’ailleurs été conçue au format 16/9) ! Les mimiques, la gestuelle des personnages sont vraiment soignées et diversifiées, tandis que les mouvements restent incroyablement fluides et décomposés pour une simple série TV. Esthétiquement parlant, les couleurs sont chatoyantes, les décors magnifiques et le chara-design extrêmement réussi, varié, expressif. Tout cela contribue à un rendu global unique mais aussi et surtout très vivant. Car s’il y a un aspect qui titille un peu plus nos globes oculaires visqueux (© un mec aux cheveux verts ayant lui-même usurpé le © d’un auguste félin) qu’un autre, c’est bien cette saisissante impression de vie se dégageant de Paranoia Agent (et des créations de Kon en général).


Cet homme est différent de nous.

Enfin, l’ultime claque provient de la bande-son signée Susumu Hirasawa, déjà compositeur sur Millenium Actress et entre autres responsable des OSTs de Berserk, série comme jeux. Comme toujours, ce grand monsieur (ou cet extra-terrestre, c’est selon) nous a gratifié de compositions uniques sur lesquelles il se permet de temps à autre d’apposer son incroyable voix. A commencer par Dream Island Obsessional Park (un certain nombre de pistes sur l’OST portent le nom d’un lieu situé sur l’imaginaire “Dream Island”), l’excellent, épique opening et son mémorable “Ra-i-ya ra raiyora…”. Ou encore le génial Condition Boy aux sonorités plutôt hip-hop, contenant plusieurs voix orientales saccadées et distordues. D’autres pistes, comme Cultivation, s’occupent d’assurer une atmosphère inquiétante (je dirais même plus, Paranoïaque) aux scènes… inquiétantes. Plus apaisant, le très joli ending (Maromi no theme) se retrouve décliné dans plusieurs pistes, et j’avoue m’être souvent surpris à fredonner cette irrésistible mélodie.
Tout cela constitue un très agréable collectif de morceaux à tendance électro voire expérimentale, que je ne peux me passer d’écouter en boucle en rédigeant cet article (et même en dehors). Une bande-son très moderne, orientale et originale qui colle parfaitement au ton de la série.

~ C’est la fête dans le slip ~

Satoshi Kon est décidément un grand de l’animation nippone. Avec Paranoia Agent, le fils spirituel d’Otomo (auquel il rend ici quelques hommages que je vous laisse découvrir) s’est vraiment lâché et le résultat est une véritable bombe faisant directement écho à ses réalisations précédentes, sans conteste l’une des toutes meilleures séries animées de ce début de siècle ! Techniquement irréprochable et artistiquement très poussé, Mousou Dairinin (le japonais, c’est classe) est un incroyable déluge créatif, qui, non content de proposer une histoire passionnante et bien alambiquée, ose également mettre en lumière de nombreux tabous très actuels de la société japonaise avec une rare intelligence (ndMoi : wow, tu t’emportes) (ndToujoursMoi : et tu as raison). Les défauts ? C’est trop court, certains thèmes auraient mérité un peu plus de développement et… c’est tout.

Une série à marquer au rouge clignotant (sur fond jaune) dans la seeing-list. Le bonheur n’est certainement pas loin de la paranoïa.

NB : la série est disponible chez Dybex, ne manquez pas les DVD.

Ecrit par Aniki le 11 mars 2005 | Modifié le 16 avril 2008

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