Aujourd’hui, je vais vous parler de Project Zero 3 (Fatal Frame III: The Tormented aux USA). Parce que voilà, en cette soirée d’avril j’ai décidé d’extérioriser l’attachement que j’éprouve pour ce jeu, simplement car il représente le meilleur survival-horror que j’aie expérimenté depuis… depuis. Longtemps, quoi. Pour la peine, warrior dans l’âme, je vais me lancer un défi : écrire tout l’article sans utiliser les verbes ”être” et “faire”. Je m’interdis aussi “fucking” (aïe), “sauce de soja” et “tournedos”. Puis aussi “une fois”, parce que belge je nationalité. Pari tenu ? Réponse existentielle en fin de texte.
Le jeu commence par la découverte de Rei Kurosawa, jeune photographe indépendante. Belle profession, seulement voilà elle vit depuis peu avec la mort de son petit ami Yuu sur la conscience. Ils se trouvaient dans la même voiture lors de l’accident : elle a survécu, lui pas. Un jour, alors qu’elle part prendre quelques clichés dans les ruines d’un vieux manoir, Rei croise… son petit ami et parvient à immortaliser ce passage-éclair sur pellicule. Un fantôme ? A peine a-t-elle le temps de se questionner que la jeune fille se retrouve projetée dans un univers irréel, hors du temps : une vieille demeure japonaise. Là, le jeu débute vraiment et nous accomplissons par la même occasion nos premiers pas dans la peau de Rei. L’image se dévoile comme sale, en noir et blanc, pleine d’artefacts et autres défauts d’affichage. Yuu apparaît, Rei le suit désespérément… Les salles s’enchaînent et l’environnement semble devenir hostile, mais, n’ayons crainte, notre héroïne se réveille brusquement de son cauchemar, les pieds dans ces mêmes ruines où elle se trouvait précédemment. Ouf ! Miku Hinasaki, son assistante, vient la retrouver. Il semble qu’il devienne nécessaire d’aller prendre un peu de repos à la maison. Dans son laboratoire, Rei développe ses pellicules et… surprise ! Le cliché de Yuu existe bel et bien. Rêve, réalité, un peu des deux ?
Dès lors commence une enquête sur le “manoir du rêve”, lieu où erre déspespérément Rei chaque nuit lorsqu’elle s’endort : ce manoir peu accueillant, il va nous falloir le parcourir… et le subir. A son réveil, Rei ressent invariablement la même douleur, et un tatouage représentant un serpent grandit sur sa peau, avant de disparaître brusquement. Basée sur des légendes urbaines et autres mythes typiquement nippons, l’histoire de Project Zero 3 possède un travail de fond appréciable, notamment grâce au grand nombre d’écrits à lire et découvrir au fil du jeu. Les notes et documents évoluent de manière dynamique dans le menu à chaque trouvaille, événement, coup de fil,... Cet aspect du jeu s’avère réussi et immersif. On se croirait dans un Ring interactif, pour la petite référence.
Il faut également savoir que ce troisième épisode de la série tisse un habile lien entre les deux premiers volets, en plus de proposer une nouvelle histoire. On retrouve Miku Hinasaki, héroïne du premier Project Zero, jouable et importante à l’intrigue. Un troisième personnage, Kei Amakura, représente lui Project Zero 2 : Crimson Butterfly, puisqu’il s’agit de l’oncle de Mio et Mayu, jumelles emblématiques dudit jeu. Quelques rapports et clins d’oeils plus ou moins importants apparaissent donc régulièrement ; n’ayant pas eu l’occasion de parcourir entièrement les deux premiers jeux, je ne pourrai malheureusement témoigner plus profondément. En tous les cas, il semblerait qu’on se retrouve donc finalement face à une trilogie cohérente.
Le moment d’explorer les profondeurs du manoir approche à grand pas. Petite prévention : coeurs sensibles, allez plutôt manger des chips (ou toute autre denrée à base de pommes de terre) ! Les développeurs amènent les nerfs du joueur plutôt loin vers la rupture. Durant les longues péripéties dans le manoir du rêve, tout s’avère étudié pour nous mettre en état de stress intense. A commencer par les angles de caméra cinématographiques, qui cadrent évidemment toujours le sujet (nous, en particulier lorsque la vue se déplace, sinon une partie du décor) de manière à ce qu’une forte sensation d’observation germe dans notre esprit. Généralement, on aura en fait raison de se sentir observé... bien que les manifestations ennemies s’avèrent peu fréquentes (donc d’autant plus percutantes). La subtilité prime. Observé, oui, mais pas forcément attaqué : une ombre danse, un objet tombe, l’image s’altère (effets de “scratching”),... Je tairai bien entendu les plus vicieuses frayeurs. Il faut cependant garder à l’esprit que les développeurs ont pris un plaisir sadique à nous mettre mal à l’aise de toutes les manières possibles, jusque dans des détails tels que la poupée de la chambre de Miku (observez-la régulièrement). Car oui, on passe aussi son temps à se balader dans la maison de Rei entre deux somnolences dans le manoir. Ô délivrance après tant de frissons…? Ahah, possible.
Si on ajoute à cela que le jeu possède une atmosphère sonore totalement démentielle (du grand art, poussez le son à fond pour percevoir toutes les subtilités horrifiques) et que le contrôleur vibre en accord avec les pulsations du personnage, on obtient à coup sûr une peur intense… mais aussi une peur permanente. Dans un Resident Evil, on sursaute ou on s’effraie devant les abominations MAIS généralement le malaise disparaît après avoir vidé son chargeur. Dans Project Zero 3, point de course à l’armement : inutile de compter sur les fidèles shotgun et autre Magnum. En fait, il n’existe qu’un seul et unique moyen de se défaire des opposants, mais j’y reviendrai plus loin. Bref, en résulte un incroyable sentiment de faiblesse : on ne joue pas au fier quand un fantôme apparaît brusquement. Encore moins quand il nous court après avec une lame gigantesque, mètre après mètre, salle après salle (ça me rappelle l’homme aux ciseaux dans Clock Tower…). D’autant plus que la plupart possèdent la capacité de se téléporter et d’apparaître un peu partout. On en vient à devenir complètement paranoïaque, toujours sur la défensive, passant en vue subjective (touche triangle) à la moindre manifestation suspecte ou au premier couloir un peu trop craignos. L’occasion d’admirer les environnements de manière manuelle, car après trois épisodes s’instaure doucement une certaine maturité graphique. Une réussite, tant esthétiquement qu’au niveau de la frayeur engendrée. Les environnements s’avèrent criants de vérité, tout comme les divers spectres, aux expressions de visage vraiment effrayantes (rictus sadiques, lamentations…), et les effets de style appliqués à l’image sont superbes.
Viscérale, voilà qui qualifie cette ambiance. En ce sens, on se rapproche d’un Silent Hill. On participe à l’expérience, la peur s’insurge en nous, on vit avec, jusqu’à ce qu’on s’exorcise enfin de ce jeu de malheur en voyant défiler les crédits de fin. Là se trouve justement la raison pour laquelle on prend un pied incroyable : ce jeu atteint directement notre sensibilité. Les conditions idéales à une immersion totale : jouer la nuit, casque sur les oreilles et portable en mode vibreur dans la poche !
Je parlais d’un moyen de se défaire des apparitions. Cette arme… il s’agit d’un appareil photo.
(Augmentons le stress : je m’interdis désormais les mots “appareil” et “photo”.)
Commençons par une agréable parenthèse : à l’instar de la série Metal Gear Solid, chaque cliché peut subsister en le sauvegardant sur carte mémoire. Voilà, je l’ai dit, maintenant revenons-en à la “camera obscura”, puisqu’il s’agit du nom de notre outil d’exorcisme (nom emprunté aux premiers pas de la photographie, la fameuse “chambre obscure ”). Elle possède la capacité d’occasionner des dégâts aux spectres en les capturant sur pellicule ; il en existe plusieurs types, évidemment de plus en plus efficaces, mais il ne suffira pas de cadrer approximativement les fantômes dans l’objectif et de déclencher n’importe comment. Non, ici interviennent nos talents de photographe, puisque la puissance des clichés dépend directement de la qualité du cadrage mais aussi – et surtout – de notre sang froid. Il faudra en effet acquérir deux compétences vitales : avoir la patience de stocker de l’énergie spirituelle en maintenant l’ennemi dans le viseur, et avoir le réflexe de saisir l’instant idéal. Fourberie ultime : pour réaliser de vrais dégâts, il faut capturer les fantômes en gros plan durant un “Instant Fatal” (le viseur devient rouge). Il faut donc les laisser approcher et par conséquent les cadrer en pleine attaque… Ceci apporte une jolie dose de stress : un cliché réussi repousse le spectre (et ouvre parfois la voie à un “combo” d’instants fatals), mais un mauvais cadrage laisse le joueur en pleine exposition ennemie. Bref, il faut laisser monter le risque et l’adrénaline au maximum pour occasionner le plus de dégâts. En passant, il faut impérativement basculer en vue subjective pour déclencher, et qui dit vue interne dit aussi impossibilité de voir ce qui se passe dans son dos…
Des lentilles et fonctions spéciales se trouvent un peu partout dans le manoir, la plupart cachées ou uniquement disponibles après avoir terminé le jeu. Ralentissement, explosion, zoom… les noms inspirent la confiance mais on ne se sentira pas pour autant beaucoup plus fort, puisque ces pouvoirs nécessitent une utilisation rigoureuse (souvent assez délicate) et surtout consomment des points d’esprit obtenus en prenant de bons clichés. Autre acquisition importante : les points permettant d’upgrader lesdites fonctions, d’améliorer les capacités générales de l’arme (tel le rayon de capture), et de débloquer un festival de bonus après avoir terminé le jeu. Ces points sont obtenus à chaque image, en fonction de la qualité de celle-ci. A noter que la camera obscura représente également un outil de progression qui permet de voir ce que nos yeux ne perçoivent pas…
Le jeu se découpant en différents chapitres, on contrôle alternativement Rei, Miku et Kei : chacun d’entre eux possède tout d’abord une capacité particulière (le flash pour Rei, par exemple), mais aussi sa propre camera obscura obtenue dans des circonstances différentes. Les améliorations apportées ne valent donc que pour un seul personnage, mais les points, eux, restent communs aux trois. Pour boucler un chapitre, il faut effectuer un certain nombre d’actions, généralement dans un ordre précis : mini-énigmes, ouvertures de passages, rencontres particulières, etc. La fin d’un acte, toujours accompagnée de son petit cliffhanger, signifie le réveil dans la maison de Rei où il faudra poursuivre l’enquête en fouillant la bibliothèque, développant les clichés dans la chambre noire, etc. Ces allers-retours réalité/monde parallèle rappellent Silent Hill 4 : The Room dans leur concept. Se réveiller en plein milieu d’un chapitre s’avère tout à fait possible en trouvant le portail adéquat dans le manoir : l’occasion de se fournir en herbes médicinales ou en pellicules de type 07 et 14 (les plus moisies mais on ne crache jamais dessus). Attention, des réveils trop fréquents engendreront un mauvais classement à la fin du jeu…
Les allers-retours et errances dans le manoir sont monnaie extrêmement courante. A vrai dire, il s’agit d’un point faible et d’un point fort en même temps : bien sûr, on en vient à se lasser de devoir se ballader encore et encore dans les mêmes lieux, ou de ne pas savoir où aller pour déclencher l’événement qui permettra de progresser dans le chapitre en cours… mais d’un autre côté le malaise se voit augmenté puisque les lieux changent à chaque visite. Evénements inattendus (les salles ont une fâcheuse tendance à, comment dire… se teinter de rouge) dans des endroits pourtant connus, nouvelles bobines à regarder dans la salle du projecteur, fouilles évolutives dans les bibliothèques (généralement, à chaque nouvelle information obtenue, on trouve un livre s’y rapportant dans les diverses étagères du manoir)... Cependant, vers la fin on commence à se sentir abusé puisqu’il ne s’agira que de reparcourir des lieux connus… avec “un stress supplémentaire” (chut). Au final, on découvre peu de lieux différents. Ce manque d’ambition s’avère plutôt dommage, et représente l’un des points noirs empêchant Project Zero 3 d’égaler les meilleurs survivals. Les autres problèmes ? Tout d’abord une animation des personnages un peu raide et trop lente, ce qui a pour effet de gêner dans les moments tendus (on peut aussi voir ça comme un stress supplémentaire). Ensuite, le jeu contient quelques petits empreints à la série Silent Hill et aux classiques de l’épouvante orientale moderne, comme les romans de Kôji Suzuki, ce qui diminue un peu son capital identité bien qu’on se situe plus dans le clin d’oeil que dans la fainéantise. Enfin, pour chipoter, la version PAL du jeu ne contient pas les voix originales japonaises, mais des doublages américains à la synchronisation labiale douteuse : dommage pour un jeu au background typiquement nippon !
Finalement, on en vient à se demander pourquoi on s’inflige cette peur. Masochisme ? Il y a sûrement un peu de cela, et du fait qu’en jouant à ce jeu on se sent vivre, on sent l’adrénaline monter dans son corps. Peu voire point ici de gore, pourtant. Juste une autre vision de l’horreur, une expérience originale à ne pas manquer. Ceci malgré ses défauts, car au final on se retrouve face à un jeu long, complet et soigné qui prouve que Tecmo sait parfois se détacher des mamelles de combat. Le mot de la fin ? L’appareil photo n’est bon à faire cuire qu’agrémenté de sauce de soja, surtout si celle-ci est accompagnée d’un fucking tournedos, une fois.
Ecrit par Aniki le 02 mai 2007 | Modifié le 04 novembre 2007