NB : Je n’ai pas eu la chance de pouvoir trouver des scans de ma version, j’ai donc utilisé, faute de mieux, ceux qui sont sur cette page. Un certain Aniki m’a signalé que la qualité des dialogues n’était pas des meilleures, cependant le choix des images s’étant également fondé sur le texte des bulles, j’ai décidé de laisser tel quel, en avertissant toutefois le lecteur (vous !) de ce malheureux éceuil. Voilà qui est chose faite, place à l’article.
Après un article sur X (par votre éphèbe préféré), les CLAMP reviennent sur le devant de la scène éminemment prisée de Lost-Edens pour un article sur l’une de leurs dernières oeuvres en lice : XXX Holic. Ainsi, fort de ma prose, je me munis pour cette affaire que j’entends mener sans déconvenue, de mes outils Logitech préférés, à savoir ma souris sans fil et un clavier à fil dont la lettre “e” est effacée ; ce que Perec, Georges de son prénom (hé oui, bande d’acculturés), nommait “La Disparition”. Aux éditions Gallimard, collection L’imaginaire, il vous en coûtera la modique somme de dix deniers approximativement. Dépêchez-vous, il y en aura pour tout le monde. On me fait signe en régie que je m’égare, et que si je ne recentre pas, je serai condamné à porter un avatar à bordure sur le forum, voire même à corriger les posts d’Echy. Donc je recentre sur un bel axe, et bien que c’eut été certainement très rigolo d’écrire, moi-même, un article sans cette voyelle magique, j’ai bien peur qu’une considération légitime me retienne, et qui se résume par une phrase somme toute très magique : Ca me ferait vraiment chier. “Parce que la forme est contraignante, l’idée jaillit plus intense” disait Baudelaire, mais là, non, c’est trop. (Promis, j’arrête les références et citations qui font que cet article pourrait ressembler à un devoir d’hypokhâgne, mais avouez que deux références littéraires dès le premier paragraphe, ça en jette : vive moi.)
Donc, là, mine de rien, j’ambitionne quand même de forger un article, où, sorti de mes divagations, vous pourriez apprendre quelque chose sur XXX Holic, un manga de CLAMP (toujours l’écrire en majuscule, m’a-t-on dit, alors moi je fais) paru en 2003 en binôme avec la seconde oeuvre du moment de CLAMP : Tsubasa RESERVoir CHRoNiCLE. Ne me demandez pas le pourquoi de ces majuscules : je n’en sais rien, je me contente de faire des copiers-collers. Le fait que ces deux oeuvres paraissent dans le même temps n’est pas le fruit du hasard ou d’une certaine prolificité de la part de CLAMP. Enfin, concernant ce dernier point, si, quand même, mais on préfèrerait qu’elles s’attachent alors à finir X. Mais ne boudons pas notre plaisir. Or donc, si ces deux oeuvres sont publiées dans le même temps, ce n’est pas fruit du hasard du calendrier. D’ailleurs, Yuko, du manga qui nous occupe, nous le dit : “Le hasard n’appartient pas à ce monde. Tout n’est que fatalité.”. Ce n’est pas non plus en raison d’un complot ourdi par quelque instance supérieure (et japonaise), ni en raison d’une nécessité d’épuiser les stocks de papier qui s’accumulaient dans le studio CLAMP. L’affaire est ainsi faite : nos deux mangas, bien que possédant peu de rapports entre eux, se croiseront plus ou moins régulièrement, les circonvolutions du scénario amenant les héros de l’un à croiser le chemin des autres. Un scénario dont je vais, en premier lieu, vous entretenir, dans le cas de XXX Holic du moins.
L’histoire est celle de Kimihiro Watanuki, un étudiant des plus classiques mais qui est confronté à un problème majeur de la puberté : il est hanté en permanence par des visions cauchemardesques, sortes de créatures brumeuses allant jusqu’à l’envelopper. Si vous n’avez pas connu ça durant votre puberté, c’est sûrement que vous n’avez pas encore achevé la vôtre. Mais ne vous découragez pas, il faut persévérer. Un jour donc qu’il est particulièrement agressé par ses visions, il se sent de manière irrépressible attiré dans une demeure qu’il ne connaît pas. Un peu comme lorsque vous passez devant la boulangerie et que vous vous sentez de manière irrépressible attirés par l’odeur des croissants. (Alors qu’en fait, ils nous couillonnent bien, avec leurs espèces de déodorants à pâtisseries dont ils diffusent les essences dans leurs magasins pour les péquins dans mon genre.) Avant d’avoir compris ce qui vous arrivait, vous ressortiez le porte-feuille plus léger, a contrario du ventre et de la bonne conscience économe (oui NoZ, ça marche aussi avec les crêpes). Et donc, c’est ce qui se passe pour Watanuki, mais sans les effluves ! Juste un prodige de la nature. Il est accueilli par Maru et Moro, deux jeunes jumelles, mais surtout par Yuko Ichihara, jeune femme splendide, séduisante au possible, que le trait d’*Apapa* rend extrêmement sensuelle, une empreinte qui ne quittera ni le personnage, ni le manga. Yuko lui explique donc sa venue ici : inéluctable (du latin ineluctabilis, contre quoi il est impossible de lutter, qu’on ne peut empêcher, éluder, éviter… non non je ne repars pas dans un délire, ce sont les mots mêmes de Yuko). Ignorant l’objet de sa venue, Yuko l’en informe : il est dans une boutique, une boutique où l’on exauce les voeux. Boutique d’ésotérisme dont la gérante se cache sous les traits délicats et rusés d’une sorcière : notre Yuko. Et voilà qui tombe diaboliquement bien, car que ne ferait pas Watanuki pour se débarrasser de ses visions ? Sans doute beaucoup de choses, mais néanmoins, ils consentent à un marché. Car Yuko ne fait rien pour rien, et chaque voeu exaucé doit s’accompagner d’un paiement en bonne et due forme d’une valeur équivalente, sous quelque forme que ce soit. Ainsi, Watanuki, ayant bien peu de choses à offrir, se met au service de Yuko jusqu’à ce qu’il ait travaillé suffisamment pour que la sorcière exauce son voeu.
C’est ainsi que se noue le principe du scénario. Où Watanuki est tantôt maître de maison, tantôt assistant durant le travail de Yuko. Le manga nous livre une série d’histoires, d’anecdotes, où le scénario à long terme côtoie des scènes magiques et variées. On en apprendra ainsi plus sur les relations de classe du jeune étudiant, qui se révéleront d’une grande importance dans le scénario, et bien sûr sur la relation même qui se tisse entre l’espiègle et caractérielle Yuko et le pauvre Watanuki, soumis aux caprices de sa tyrannique et excentrique patronne. Une relation riche, drôle, parfois tendre, souvent acide, mais toujours divertissante et intéressante pour le lecteur. Le scénario, baigné dans une atmosphère occulte, nous confronte régulièrement aux problèmes des malheureux clients de Yuko, souvent victimes de leurs propres vices. Se faisant, le manga, derrière son apparente légèreté, surprendra-t-il le lecteur par un petit côté qui n’est pas sans rappeler, pourquoi pas, Tôkyô Babylon, sur lequel il semble lorgner. Ainsi, les vices d’un individu seront dévoilés, qu’ils soient phénomène dû à une société contemporaine maladive ou phénomène propre à l’individu et à la conscience. Sur ce point du scénario, les CLAMP ne prennent pas la peine de mystifier, d’aggraver ou encore d’enjoliver. Non, elles nous livrent des portraits très simples et qui se rapprochent donc au mieux du lecteur, le confrontant ainsi à une réalité qu’aucune mise en scène grandiloquente ou exagération ne sait distancer, la touche ésotérique servant plus à amener le problème sur scène. Pour prendre à parti les internautes que nous sommes, le problème de la dépendance à Internet saura concerner et frapper la plupart d’entre nous. Et c’est de ce genre de choses où les CLAMP réussissent ici : mettre le doigt où ça fait mal, à travers des portraits simples, touchants, pathétiques, et surtout terriblement humains (à défaut d’un terme plus universel). Sordides, névrosés, ces tableaux mystiques côtoient des scènes piquantes et humoristiques qui donnent au manga une saveur particulière et une ambiance polyvalente savoureuse. Ajoutons à cela que pour s’enrichir, l’oeuvre fait bien sûr de nombreuses allusions à la mythologie et à l’ésotérisme, ce qui est d’une part habituel chez CLAMP, d’autre part tout à fait compréhensible dans un manga tel que XXX Holic.
Outre cette petite constellation de qualités non-négligeables, l’ambiance du manga possède également pour elle une touche à la fois rétro et classique, aristocrate et libertine. Et elle doit ses aspects à sa conception artistique, son orientation esthétique et sa patte graphique unique qui séduiront les uns et seront le repoussoir des autres. Graphiquement, l’oeuvre est donc très particulière. Si les personnages ont cette élasticité qu’on retrouve également dans Tsubasa (en moins prononcé toutefois), le graphisme global épouse également l’ambiance mystique accusée par le manga. Une union heureux marqué par une absence de trames (chose assez inhabituelle pour être signalée, les CLAMP étant bien connues pour être des cadors dans le domaine de la richesse des trames), un aspect brumeux omniprésent, des volutes parcourant régulièrement les cases du manga, et une Yuko énigmatique au possible quand elle ne revêt pas son côté délurée. Mais cette dernière n’est pas que ça. Elle est également ce que l’on pourrait bien justement nommer un fantasme masculin ambulant. Non contente d’être belle à en faire tomber en pâmoison la gent masculine, l’irrésistible s’offre en plus un côté langoureux et sensuel, sorte de fruit défendu qu’il vaut mieux ne pas goûter au risque de jouir de la connaissance du travers acariâtre et cynique de la créature. Yuko est donc provocante au possible, ne se privant pas d’affecter des poses souvent aguicheuses dans des tenues gracieuses et suggestives. Une sensualité contrastée par des personnages beaucoup plus réservés et classiques.
Watanuki tombe dans la banalité, conservant à cet effet souvent sa tenue de lycéen d’un noir monochrome immaculé (on devine donc qu’il n’a pas de chat, parce que moi qui m’habille souvent en noir, j’aimerais bien ne pas être assailli par les poils), les autres personnages réguliers du manga (au nombre de deux pour le moment, à savoir Domeki, le rival, et Himawari, la dulcinée, de notre étudiant maudit) sont eux aussi dans des tenues très classiques la majorité du temps. Les deux jumelles Moro et Maru conservent une tenue de maîtresse de maison assez classique, et Mokona, notre mascotte préférée ici présente dans sa “version” noire, n’est pas particulièrement parée (cette japoniaiserie frise l’indécence). Entre les différentes histoires du manga, sur la couverture, et dans la double page d’introduction, on retrouve également des dessins de toute beauté où nos personnages, et pas seulement Yuko cette fois-ci, se drapent de leurs plus beaux atours pour nous présenter des oeuvres graphiques hors contexte, sortes d’entractes esthétiques qui charmeront les yeux par des côtés aristocratique et charnel (non non le titre ne caractérise pas des tendances sexuelles à l’oeuvre) qui semblent si bien aller à nos personnages. Le côté bourgeois et sulfureux de Yuko qui fait écho aux autres personnages ? Absolument, pour le plus grand plaisir de nos mirettes. (Mieux vaudrait éviter que la dépravation de Yuko gagne autrui, en revanche :D)
Dernier point important (crucial ?) à signaler pour appréhender un peu mieux l’ambiance graphique, c’est la technique (et là, grand merci Ariaceles :)). En effet, Apapa (qu’il faut désormais nommer Mokona, qu’il paraît), a réalisé XXX Holic en un jet, à savoir sans croquis au préalable. Ce qu’elle couche sur le papier est ce que nous retrouvons dans le manga, sans aucune retouche ultérieure (autre que le tramage). Cette absence de recherche où l’on ne tente pas d’étoffer le dessin est sans aucun doute à mettre en corrélation directe avec l’absence plus ou moins marquée de la richesse des trames, à savoir l’exploration d’un style simple et épuré qui ajoute à la sensibilité de l’oeuvre. Comme je le disais en début d’article : “C’est parce que la forme est contraignante que l’idée jaillit plus intense.”. (Et hop, comment j’ai ressorti ma citation bien contextualisée là. Vous ne l’attendiez pas, moi non plus.)
Après cet intermède, je reviens sur la couverture et la double page d’introduction afin d’en profiter pour faire un aparté (conséquent) dans l’optique de parler du manga, l’objet. Celui-ci est ma foi fort luxueux et fort beau. L’éditeur a fait un bel effort : sens de lecture original, bordures de couleurs pour donner cet aspect un peu vieilli, pages en couleurs là où il en faut, et couvertures identiques à celles d’origine. Bref, un respect total de l’oeuvre originale digne de louanges. Le contraire aurait desservi le manga, vu la concordance entre le fond et la forme. Les couvertures donnent dans un graphisme “tableau d’antan”, où la peau des personnages est halée, jaunie comme le serait un passage trop prolongé au soleil, avec un “thème de couleur” propre à chaque tome, grâce à l’utilisation de teintes chromatiques. Par exemple, le tome cinq est orienté sur un orange foncé, et l’on se rend compte qu’outre le fond, de nombreuses choses, objets et vêtements, sont entamées par ces teintes orangées, comme si le fond avait déteint ou si l’on avait été limité dans les couleurs, comme ce fut le cas à une époque, renforçant ainsi l’impression d’antan et d’âge qui se dégage de ses portraits. Dernière chose à noter, les teintes sont toutes “luminantes”, brillantes. La luminance est un effet de couleur couramment associé à la sensualité. Bref, les bordures de couleur et les couvertures usées et leur pattes si uniques amènent donc même à contaminer l’objet de cette touche rétro et concupiscente, idée que je trouve vraiment géniale.
Alors au final, que penser de ce XXX Holic, lié comme dit en ce début d’article, à Tsubasa RESERVoir CHRoNiCLE ? oeuvre alimentaire, cross-over artistique des plus réussis ou bien le tout à la fois ? Pour ma part, mon conseil serait bien simple (si si) : occulter le côté chassé-croisé du manga (du moins, du jumelage avec Tsubasa, pas des références aux anciens mangas de CLAMP qui jonchent les pages). Ceci pour une raison simple, c’est que, bien qu’il permette de mieux comprendre les interventions des personnages de Tsubasa dans le manga, ces apparitions se font quand même très rares. Au moment où j’écris ces lignes, on ne dénote que trois ou quatre brèves apparitions, sans réel impact sur la suite de l’histoire. Il n’est absolument pas indispensable de lire l’un pour comprendre l’autre, où les apparitions relèvent plus de l’anecdote, du moins pour le moment. Notre manga ne se révèle donc pas tant escroc que ça (quoi que la volonté de doubler les ventes soit bien évidemment présente), et propose bien une oeuvre à part entière, indépendante et qui sait se suffir à elle-même.
On ne sait pas encore combien de tomes comptera la série. Vraisemblablement moins que Tsubasa. Outre le manga original, un film qui est consacré à la série est sorti au Japon en juillet 2005, toujours lié à Tsubasa, autre film qui est sorti dans le même temps. On peut retrouver Yuko et Watanuki lors de brèves apparitions dans l’adaptation en série animée de Tsubasa (le résultat n’est pas satisfaisant selon moi, et les apparitions rares, évidemment), et nous pouvons surtout jouir d’une adaptation propre à XXX Holic. N’ayant vu ni film ni anime de notre manga, je ne saurais vous dire que cela vaut. L’esthétique très particulière du manga fait d’une adaptation animée un pari difficile.
Pour conclure, je ne pourrais qu’encourager ceux qui n’apprécient pas le style graphique habituel de CLAMP mais qui souhaiteraient découvrir leur “monde” (elles vivent sur une autre planète), de se lancer dans cette aventure, pour peu qu’ils aiment l’ésotérisme et l’humour avec un bon brin de critique sociale. Je le déconseillerai à ceux qui cherchent de l’action, qui devront plutôt se tourner vers Tsubasa. XXX Holic est donc un seinen (même pas envie de discuter du bien fondé de cette affirmation tant c’est pas intéressant et indigeste : c’est la publication qui veut ça, point :D) avec une ambiance agréable, à la fois drôle et grave, réfléchie et impertinente, à l’esthétique unique et terriblement attrayante.
PS : Il me faut créditer Ariaceles qui m’a aidé lors de la rédaction de cet article, en particulier de la partie esthétique, étant moi-même fort peu familiarisé avec ce domaine.
Dans le même ordre, remerciements à Aniki pour la correction, et Echy pour le codage.
Ecrit par LordYamaneko le 15 mai 2007 | Modifié le 04 novembre 2007